La gendarmerie est prise entre la politique de plus en plus collaborationniste de Pétain et la montée en puissance de la Résistance. Elle a un devoir d'obéissance envers le pouvoir en place, elle ne peut pas s'opposer aux missions de plus en plus impopulaires comme la rafle de Juifs, la recherche des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) et la lutte contre les Résistants. Les gendarmes, face à ce dilemme, choisissent individuellement leur camp : Il y a les gendarmes zélés qui obéissent aux ordres, il y a les gendarmes qui pratiquent une résistance passive, (la personne à arrêter est prévenue à l'avance, l'ordre est mal exécuté, des informations recueillies au cours des tournées sont cachées à la hiérarchie) et il y a des gendarmes bien engagés dans la Résistance et les réseaux de renseignements qui profitent de leur position pour circuler librement en cachant au mieux leur jeu.
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« Le 27 mars 1944, le gendarme Jouanet (BT de la Roche-Derrien) devant conduire les allemands chez un homme à arrêter, arrive à faire prévenir celui-ci, qui prend la fuite au bon moment »
« En janvier 1944, l'adjudant Buan réussit après enquête à identifier un agent de la gestapo. Il est signalé immédiatement à la Résistance et abattu par celle-ci. »
« En juin 1944, les gendarmes Dincuff et Hamelin (BT de Lézardrieux), au service de la mission parachutiste Frédéric, participent à la protection du personnel parachuté et aux parachutages d'armes destinées aux maquis du département. »
« Le 27 mars 1944, le gendarme Dollo (BT de Tréguier) de garde auprès de quelques détenus politiques à Lannion, sert d'agent de liaison entre ces détenus et la Résistance locale, qui vient délivrer les prisonniers quelques jours plus tard. »
« Le 28 février 1944, le gendarme Colin (BT de Plouaret) alerte, en parlant en breton, un homme qui va être arrèté par la gestapo. »
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Le 8 juillet 1943, trois gendarmes de la brigade de Perros-Guirec sont requis, par la préfecture pour convoyer à Brest des ouvriers à destination de l'Allemagne. A 7 h du matin, ils se rendent à l'hôtel, où ce situe le siège de l'organisation TODT. Le gendarme Le Corre fait remarquer : « qu'il a reçu l'ordre d'escorter des ouvriers Français de Perros à Brest, mais pas de se rendre sur les chantiers pour les chercher ». Les gendarmes sont menacés, on leur signifie vertement qu'on n'a pas besoin d'eux et qu'ils peuvent rentrer chez eux. Ce qu'ils font.
Le 2 avril 1944, vers 22 h 30, sept ou huit militaires allemands cernent la caserne. Bousculant les gendarmes présents, ils les tiennent en respect avec leurs mitraillettes et leurs pistolets. L'interprète s'en prend particulièrement à l'adjudant Le Jeune « vous êtes tous des terroristes ». Très excités, les Allemands ne veulent pas admettre que les gendarmes ne possèdent pas un plan avec tous les noms des habitants. Les gendarmes essaient d'aviser par téléphone le commandant de section, mais cela leur est refusé . Deux jours plus tard, le maire s'adresse au préfet, protestant contre l'attitude grossière des Allemands à l'égard du personnel de la gendarmerie, évoquant des brutalités.
Le 15 juin 1944 , un rapport de la gendarmerie relate: « la situation de la brigade est la suivante à Perros-Guirec: L'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon, arrêtés. Les gendarmes Guézou et Masson, malades en convalescence. Les gendarmes Le Corre, Pouliguen et Andrieux, défaillants. Le gendarme Andrieux a été tué au cours d'une échauffourée le 9 courant. Le gendarme Lucas, affecté à la brigade, n'a pas rejoint. Le service est assuré par quatre hommes détachés. » A travers les termes « convalescence » et « défaillant », il faut comprendre qu'en fait, les gendarmes ont pris le maquis.
Le gendarme Andrieux a été tué par une grenade, après avoir abattu un officier allemand au lieu-dit le Guillors à Louannec.
Les gendarmes Le Corre, Masson et Pouliquen feront partie des maquis de Kermaria-Sulard, de Prat puis de Plestin les grèves.
les deux gendarmes, Le Jeune et Hamon, arrêtés dans la rafle du 4 juin 1944 à Perros-Guirec sont morts en déportation.
Références : Les articles du Ouest France du 3 juin 2011 et du Télégramme du 29 mai 2001 ayant eux même comme source les rapports de gendarmerie.
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Il s'engage à 25 ans dans la gendarmerie en 1936.
Lieutenant en 1940 dans le 21éme tirailleur Algérien, il est fait prisonnier le 30 juin 1940 et déporté en Allemagne jusqu'au 23 août 1941.
Il est libéré à l'initiative des Allemands, comme tous les officiers de la gendarmerie, pour maintenir l'ordre dans la zone occupée. Il voyage en train entre Rennes et St Lo - il a son uniforme- quand il est abordé par un civil qui prétend travailler pour les services secrets anglais. Raymond se méfie, mais fini par dire qu'il est prêt à aider.
Raymond Laporterie est nommé adjoint au commandant de la gendarmerie de St Brieuc. Il a une voiture de fonction et un ausweiss, il peut circuler librement.
Un mois après sa rencontre dans le train, il est contacté par ce même inconnu, il accepte sa mission: « localiser les unités allemandes dans les Côtes du Nord » (Côtes d'Armor).
Il communique avec cet agent en déposant ses documents dans une cache sous une marche de l'escalier. Cet agent de l'I.S (intelligence service) est un instituteur qui loge au dessus du bistrot où Raymond vient boire son café tous les matins.
Le 13 mai 1942, l'instituteur est arrêté à la suite d'une dénonciation, il sera torturé puis fusillé, mais il ne parlera pas. Le lieutenant est interrogé, n'avoue rien, il est finalement relâché, mais sûrement surveillé.
Avec davantage de discrétion, il prévient les Résistants des lieux et des dates des rafles, quand il doit arrêter un résistant ou un juif, il ne les trouve jamais.
En juin 1942, il est muté au commandement de la gendarmerie de Lannion. Il prend rapidement contact avec 3 maquis.
En décembre 1943, il est à nouveau sollicité par l'I.S anglaise. Pour vérifier que cet homme est de l'I.S, cet inconnu lui propose de lui donner une courte phrase qu'il entendra quelques jours plus tard sur la BBC. Deux jours plus tard, il entend cette phrase sur radio Londres.
Cet agent lui explique qu'une frégate anglaise établissait régulièrement une liaison avec les Résistants Français sur la côte normande, mais que cette liaison est devenue trop dangereuse depuis que les Allemands ont renforcé la surveillance de ce littoral, après la tentative de débarquement à Dieppe en 1942. L'I.S cherche donc un autre point de rencontre et pense à l'Ile Grande. Il lui faut un homme de confiance qui puisse circuler librement et recevoir un messager de Londres. Laporterie accepte aussitôt, il devient le chef du secteur Morlaix-Lannion- Paimpol.
A partir de janvier 1944, Raymond Laporterie établit le contact à 7 reprises : Il quitte seul la gendarmerie avec sa voiture de service qu'il dissimule un peu avant le littoral, Il enlève son uniforme, revêt un vieil habit de pêcheur et attend dans une crique tranquille, le point de rencontre convenu. La vedette rapide de la Royal Navy, qui reste à un mile de la côte, débarque un canot pneumatique, l'agent rame jusqu'au point de rendez-vous où les deux homme échangent leurs courriers, l'anglais repart à la rame pour rembarquer sur la vedette qui repart à toute vitesse vers l'Angleterre. C'est une mission extrêmement dangereuse, puisque la côte est bien surveillée par le Allemands.
L'Intelligence service lui en demande encore plus: s'engager dans les réseaux. Il accepte de rencontrer le responsable du « réseau Alibi » du secteur: André Vallée, pharmacien à Lannion, surnommé « le Potard » qui lui remet un poste radio pour communiquer avec Londres. Il échange trois fois par jour des informations avec Londres en changeant souvent et rapidement de place avec sa voiture de service pour ne pas se faire repérer avec la gonio allemande. Il agit seul, en quelques mois, il a une vingtaine de liaisons journalières. Ses collègues qui le voyaient partir et revenir à des heures étonnantes, se doutaient de quelque chose, mais personne n'a jamais trahi.
Le 21 février 1944, pendant un contrôle de routine, les gendarmes de Plouaret arrêtent un cycliste, trouvent des armes sur son porte-bagages, le blessent quand il tente de s'enfuir et l'arrêtent (Il s'agit de Jean Le Jeune, chef d'une compagnie FTP qui est chargé de coordonner les actions des maquis dans les Côtes du Nord). Le lieutenant Laporterie, mis au courant par une note de son subordonné, l'adjudant-chef Le Peltier, comprend qu'il ne faut pas que ce prisonnier tombe entre les mains des Allemands. La gestapo, déjà avertie, réclame le prisonnier, Laporterie leur dit qu'il est à l'hôpital sérieusement blessé, qu'il n'est pas en état d'être interrogé, mais qu'il les préviendra dès qu'il le sera.
Le soir de l'incident, les maquisards, remontés contre les gendarmes qui ont tiré sur un des leurs, prennent la gendarmerie d'assaut, ils tentent d'y mettre le feu aux cris de « gendarmes salopards » Le commandant négocie en leur expliquant qu'il fait partie de la Résistance, qu'il n'a rien pu faire pour éviter cette arrestation, qu'il faut maintenant agir ensemble pour le libérer. L'accord est passé avec les responsables de ce groupe.
Une dizaine de jours plus tard le prisonnier est rétabli, l'hôpital ne pourra plus le garder, le lieutenant Laporterie informe les responsables de la Résistance pour qu'ils montent au plus vite une opération d'exfiltration.
Elle a lieu le 9 mars 1944, trois hommes déguisés en infirmier, pénètrent dans l'hôpital, chloroforment et ligotent facilement le policier et le gendarme en faction devant la chambre - ils se laissent faire volontairement, pourtant ils n'avaient pas été prévenu par Laporterie - et s'emparent du prisonnier. Les barrages routiers dressés pour les arrêter ne donnent aucun résultat et pour cause, c'est Laporterie qui les a ordonnés. Les Allemands furieux imaginent des complicités, ils arrêtent le policier et le gendarme. Ils seront détenus plusieurs mois dans un camp de Pithiviers avant d'être relachés.
Rapport du lieutenant Dupont: « Le 9 mars 1944, les gendarmes Dincuff et Thomas de la brigade territoriale de Lézardrieux refusent de prendre part à un barrage ayant pour but l'arrestation d'un détenu qui venait de s'enfuir de l'hôpital de lannion. L'adjudant Le Picard, ayant fait lever le barrage sans ordre, fut puni de 10 jours d'arrêt de rigueur. »
Rapport du lieutenant Dupont: « le 9 mars 1944, le gendarme Botcazou (brigade territoriale de Tréguier), de garde auprès d'un patriote détenu à l'hôpital de Lannion, laisse fuir son détenu délivré par des camarades et simule un chloroformage pour détourner les soupçons. A la suite de cet incident, Botcazou est arrêté par les Allemands, puis interné pendant trois mois au camp de Pithiviers. »
En août 1944, Le Trégor est libéré, le commissaire de la république de Rennes nomme Raymond Laporterie sous-préfet de l'arrondissement de Lannion chargé de rétablir l'ordre dans le Trégor.
Le 20 août, son contact de l'intelligence service réapparaît pour lui confier une autre mission qui doit le faire passer par Londres, il l'accepte en démissionnant de son poste de sous-préfet.
Il embarque dans un sous-marin à Arromanches pour aller prendre ses ordres à Londres : Parachutage dans l'Est de la France, réception par les maquisards, identification des unités allemandes qui refluent vers le Nord.
Après un bref séjour à la direction de la gendarmerie à Paris, il reprend une mission en Allemagne dans la zone occupée par les Anglais. Comme officier de liaison, il est chargé d'arrêter les Français en situation irrégulière et les transférer à Lille pour qu'ils soient jugés (Collabos, pro-allemands engagés dans la légion des volontaires français, voyous...) il en récupérera aux environs de 2500.
En 1946, il réintègre la gendarmerie à Corbeil (Essonne) et finira sa carrière à Metz, où il est nommé colonel.
Chevalier de la légion d'honneur, il décède en décembre 2007
Référence : les rapports confidentiels de la gendarmerie 1940-1945
Jean Marie Pontaut et Eric Pelletier, édition Michel Laffon ISBN:978-2-7499-0781-9
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Réf: Archives départementales 68 J
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